Ainsi que l'écrit l'auteur de sa vida quand il parle de « paubres motz », les six chansons de Jaufre Rudel qui nous sont parvenues brillent par un style simple « ab pauvre motz ».
Les mots employés, de même que les formules, ne témoignent pas d'une recherche spéciale de la difficulté ou de la richesse (soulignons cependant un très joli jeu de sonorités pour signifier le désir de jouissance partagée « jau jauzitz jauzen » ; « jauzens jauzitz », etc.), les métaphores et comparaisons sont simples. Le poète excelle néanmoins à créer des variations sur la dialectique du proche et du lointain par l'utilisation d'un jeu astucieux fondé sur un réseau d'images, le cavalier, le pèlerin, etc. ; d'antithèses, pres, lonh, lai ; lonhdas, vezis ; et de répétions, comme par exemple lonh placé à la rime des vers 2 et 4 de chaque strophe de Lanquan li jorn son lonc en mai, qui font des chants de Rudel une très belle illustration de ce désir insatiable qui anime les poètes-amants que sont les troubadours.
Sa prosodie est à l'image de la simplicité de son style. Les six chansons sont composées de 5 à 8 couplets ou coblas. La plupart du temps les coblas offrent une série de 7 vers de huit syllabes. Quan lo rius de la fontana est la seule composée de 5 strophes réunissant des vers de 7 syllabes. Les rimes masculines sont les plus employées sauf dans Quan lo rius de la fontana où les rimes féminines ont bonne place. Jaufre Rudel a en outre la particularité d'employer des rimes esparsas, à savoir des rimes isolées dans le couplet mais qui trouvent leur résonance dans le couplet suivant. Le système des rimes de Quan lo rius de la fontana est quasiment totalement construit sur ce principe, seules deux rimes trouvent leur correspondance dans la strophe même, il s'agit en général des rimes féminines. Cette chanson est, on le voit, la plus complexe de Jaufre du point de vue de la forme, elle est celle qui se détache le plus de l'ensemble dont Alfred Jeanroy détaille les formules prosodiques de la manière suivante (les rimes féminines sont notées en italiques) :
I, Quan lo rossinhols el folhos : a b a b b c d ; 8 syllabes (sauf le v.6 de chaque couplet, qui est de 7) ; 6 couplets (coblas).
II, Quan lo rius de la fontana : a b c d a c e (c. I-II) ; 7 syllabes ; 5 couplets.
c d a b c a e (c. III-V).
III, Pro ai del chan essenhadors : a b a b c c d e, 8 syllabes; 7 couplets.
IV, Belhs m'es l'estius e·l temps floritz : a b b a c c d (c. I-II, V)
b a a b c c d (c. III-IV, VII-VIII) ; 8 syllabes ; 8 couplets.
V, Lanquan li jorn son lonc en may : a b a b c c d ; 8 syllabes ; 7 couplets + envoi (tornada). Le mot lonh est répété à la fin des v. 2 et 4 de chaque couplet.
VI, No sap chantar qui so non di : a b b a a b ; 8 syllabes ; 8 couplets + envoi.
Enfin, nous finirons par les propres remarques du troubadour sur sa vision du trobar qui montrent la grande importance qu'il accorde à l'adéquation du fond et de la forme. A l'instar de Bernat de Ventadorn, le poète de Blaye ne saurait considérer comme poète quelqu'un qui n'entendrait pas en lui-même le sens de ce qu'il compose :
(No sap chantar qui so non di) | Il ne sait pas chanter celui qui n'exécute pas de mélodie |
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(Bos es lo vers, qu'anc no·i falhi) | Bonne est la chanson, car je n'y ai en aucun cas failli, et tout ce qui s'y trouve y est bien à sa place ; et que celui qui de moi l'apprendra se garde bien de la briser et de la mettre en pièce ; car ainsi l'auront en Quercy sire Bertrand et le comte dans le pays toulousain, a a. Bonne est la chanson, et ils en feront là-bas quelque chose que l'on chantera, a a. |