Quan lo rossinhols el folhos
Dona d’amor e·n quier e·n pren
E mou son chan jauzent joyos
E remira sa par soven
E·l riu son clar e·l prat son gen,
Pel novel deport que renha,
Mi ven al cor grans joys jazer

D’un amistat suy enveyos,
Car no sai joya plus valen,
C’or e dezir, que bona·m fos
Si·m fazia d’amor prezen,
Que·l cors a gras, delgat e gen
E ses ren que·y descovenha,
E s’amors bon’ab bon saber.

D’aquest’amor suy cossiros
Vellan e pueys sompnhan dormen,
Quar lai ay joy meravelhos,
Per qu’ieu la jau jauzitz jauzen ;
Mas sa beutatz no·m val nien,
Quar nulhs amicx no m’essenha
Cum ieu ja n’aia bon saber.

D’aquest’amor suy tan cochos
Que quant ieu vau ves lieys corren
Vejaire m’es qu’a reüsos
M’en torn e qu’ela·s n’an fugen ;
E mos cavals i vai tan len
Greu er qu’oimais i atenha
S’Amors no la·m fa remaner.

Amors, alegre·m part de vos
Per so quar vau mo mielhs queren,
E suy en tant aventuros
Qu’enqueras n’ay mon cor jauzen,
La merce de mon Bon Guiren
Que·m vol e m’apell’e·m denha
E m’a tornat en bon esper.

E qui sai rema deleytos
E Dieu non siec en Belleen
No sai cum ja mais sia pros
Ni cum ja venh’a guerimen,
Qu’ieu sai e crei, mon escien,
Que selh qui Jhesus ensenha
Segur’escola pot tener.

 

Alors que le rossignol dans le bois feuillu,
donne de l’amour, en demande et en reçoit,
et qu’il lance son chant de jouissance et de joie
et qu’il regarde souvent sa compagne,
que les ruisseaux sont clairs et les prés riants,
alors, à cause de la nouvelle gaîté qui règne,
une grande joie vient se coucher dans mon cœur.

Je suis désireux d’un amour,
– je ne connais pas de joyau plus précieux –
que je souhaite et désire ;
il me serait bon si elle [ma dame] me faisait un présent d’amour,
car elle est ronde, déliée et gracieuse
et sans rien qui la dépare,
et son amour est bon et de bonne saveur.

Je suis soucieux au sujet de cet amour
dans la veille et les songes du sommeil,
car c’est là que j’obtiens une joie merveilleuse,
car alors je connais la jouissance partagée dans la joie ;
mais sa beauté ne me vaut rien,
car aucun ami ne m’enseigne
comment je pourrais avoir d’elle bonne saveur.

Je suis tant pressé par cet amour
que quand je vais vers elle en courant,
il me semble que je m’en revienne à reculons
et qu’elle s’en aille en fuyant ;
et mon cheval y va si lentement
qu’il sera difficile d’y  atteindre  un jour,
Si Amour ne la fait m’attendre.

Amour, heureux, je me sépare de vous
parce que je vais chercher le mieux pour moi,
et j’en suis tant chanceux
que j’en ai déjà le cœur joyeux,
merci à mon Bon Garant
qui me veut et m’appelle et me considère
et m’a remis en bon espoir.

Et celui qui reste ici dans les plaisirs
et ne suit pas Dieu à Bethléem,
je ne sais pas comment il pourra jamais être preux
ni comment il parviendra au salut,
car je sais et je crois, assurément,
que celui que Jésus instruit
peut tenir bonne école.

 Texte occitan d'après l'édition d'Alfred Jeanroy, Les Chansons de Jaufre Rudel, Paris, Honoré Champion 1965. Mais nous vous renvoyons également à Jaufre Rudel, Chansons pour un amour Lointain, Présentation de Roy Rosenstein, préface et adaptation d'Yves Leclair, Gardonne, Fédérop, 2011.

< Retour aux cançons